Ce 11 janvier, Les CitadElles étaient partenaires de l'événement Toujours Charlie, 10 ans après, initié par le Printemps Républicain et dont la présidente est notre amie, Marika Bret. Devant les anciens locaux de Charlie Hebdo, 10 rue Nicolas Appert, il y eut des prises de paroles.
Voici celle de Delphine Girard, professeure de Lettres Classiques, porte-parole de Vigilance Collèges Lycées. Merci à elle pour l'autorisation de reproduire son texte sur notre site.
"J'ai commencé à enseigner il y a tout juste vingt ans. Dix ans avant les attentats que nous commémorons. Il y a vingt ans, je peux vous dire que les mécanismes qui ont mené à l'assassinat de nos camarades étaient déjà en germe au sein de la jeunesse, tout au creux de nos salles de classe. Dans la banlieue de Meaux, en 2005, des adolescents de 15 ans m'interpellaient déjà pour me dire que je n'avais pas le droit de leur faire lire certains textes de Voltaire, ou me demandaient pourquoi je venais leur parler d'homosexualité, en étudiant la biographie de Rimbaud.
Mais quoique les débats fussent parfois ardus, souvent houleux, ils semblaient toujours possibles, et je n'ai guère le souvenir qu'ils aient jamais pris une tournure politique. J'étais confrontée à la réaction d'adolescents enfermés dans un milieu socio-culturel exigu, défiants, mais sans discours arrêté ni construit.
Et puis il y a eu janvier 2015 ... Après les attentats de Charlie, les échanges sont devenus clairement plus compliqués sur toutes ces thématiques. Comme si l'indignation spontanée de certains élèves lors du cours sur Voltaire ou des débats autour de l'homosexualité avait enfin trouvé une forme officielle, une pensée coustruite comme un rempart contre la rhétorique subversive de l'école : une bannière : l'anti-Charlisme.
Et cette identité de groupe nouvelle, forte comme le sont les effets de mode et galvanisante comme l'est le sentiment d'appartenance chez les jeunes gens, plus que jamais clivait l'école en deux : eux, et nous. Les élèves, leurs familles, leurs valeurs que nous ne pouvions pas comprendre, leur milieu, leur vérité; et les profs, l'institution, officiellement hostile puisqu'elle défendait l'action de dessinateurs "islamophobes".
Et même si personne ne soutenait ouvertement le meurtre de journalistes ou de policiers, ils étaient en classe nombreux à penser que qui sème le vent ... Un peu comme ces filles qu'on regrette de voir violées, mais à qui on reproche de s'entêter à porter des jupes provocantes.
Définitivement, Voltaire, les "pédés" et les caricatures, c'était "ma" culture, et non la leur : et puisque je soutenais l'action de dessinateurs prêts à bafouer "leur" culture, ils n'avaient plus de raison de vouloir m'écouter lorsque je présentais la "mienne", ni de continuer à nouer un dialogue pour parvenir à un consensus autour de la liberté d'expression.
Ce dialogue pourtant, Samuel Paty pensait pouvoir le poursuivre, bon gré mal gré, grâce et à l'aide de Charlie. Et c'est en s'efforçant d'expliquer les mêmes dessins à ses dessins à ses élèves, qu'il fut assassiné lui aussi, cinq ans plus tard, par un barbare de 10 ans le cadet des Kouachi. Même lumière contre même ombre...
Car si l'on meurt et qu'on tue au nom de Charlie, c'est bien parce que Charlie incarne l'ennemi : il n'est pas la culture des profs, des journalistes, ou de l'institution : il est le meilleur moyen de gagner le paradis, pour qui s'imagine que l'enfer est peuplé de gens qui se marrent, qui pensent et qui dessinent, encore."
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